© Cyrille Clément
La Nuit de la Littérature à l’Institut suédois à Paris, FICEP 2023
Texte accompagné de deux photographies, Sylvie Camet
Des photographies, il n’en manquera pas, des professionnels ayant capté, la journée durant, le va-et-vient des artistes et de leurs accompagnateurs, les mouvements des spectateurs et des visiteurs. Il ne me revient pas de choisir parmi dix-huit écrivains qui se sont relayés sur l’estrade, à la signature de la librairie ou à la lecture de leur œuvre dans la douce pénombre de la salle Tessin, c’est pourquoi je préfère à cette identification l’allégorie d’une chaise vide dans l’éclat de lumière de ce samedi 13 mai. Une chaise attendant son occupant, fichée dans l’herbe et les pâquerettes printanières, comme si justement cette invitation à partager des textes, des morceaux de poésie, s’entendait comme une efflorescence. L’un, l’une après l’autre sont venus présenter leur livre, faisant entendre une multiplicité de langues et peu importe que l’on ne comprenne ni le turc, ni le polonais, ni le hongrois, les accents, les mélodies font partie de la conviction que la littérature se veut un emportement contre le risque de tout ancrage.
Il est bien impossible de tenter de résumer les propos, dix-huit fois vingt minutes de 15h à 22h, d’ailleurs l’idée était moins à l’exhaustivité qu’à la saisie ici ou là d’un ton, d’une préférence, à l’écoute attentive succédait le grignotage ou la conversation. Cependant, de cette diversité ressortent quelques orientations qui indiquent, par-delà les frontières ou les appartenances, des préoccupations communes.
Une question qui se pose est celle de la mémoire, pour ces écrivains et écrivaines contemporaines, jeunes souvent, l’espèce de transformation des sociétés appuyée par les mutations technologiques invite à se retourner et se demander quelle filiation trouver. La première possible consiste à puiser dans un héritage culturel défini par quelques références canoniques (les œuvres majeures, les contes, les épopées), la seconde à explorer les ressources presque ignorées de son histoire (les recherches exhument alors les croyances, les personnalités, les groupuscules oubliés).
À l’inverse, mais cet envers n’est qu’illusoire car il est la manifestation d’une inquiétude analogue, plusieurs récits se conçoivent comme une projection imaginaire dans le futur, et souvent ces visions dystopiques sont traversées d’une forte préoccupation quant au maintien des équilibres naturels. Écrire c’est pour beaucoup écrire l’urgence dans le pressentiment du cataclysme. Or, tel est le sens de la deuxième image, après la belle luminosité du début de l’après-midi, grisaille et pluie et fraîcheur ont terni le début de soirée. Ce n’est pas qu’il ne faille pas d’eau, bien au contraire (justement les livres multiplient les avertissements climatiques), mais c’est plutôt que la sortie des parapluies, des couvertures a comme symbolisé cette fragilité qui est la nôtre. Il semble que le seul remède qui ait été trouvé consiste dans de nouvelles formes, de nouvelles formes de citoyenneté mais aussi de nouvelles formes artistiques. Rejetant souvent les assignations, les autrices et les auteurs parlent d’hybridité. Celle-ci résulte souvent d’influences familiales contradictoires, d’expériences de vie en exil, de la volonté de casser les codes qui enferment dans le roman, dans le théâtre, dans la chronologie, dans le vrai, dans le faux, tout se réinvente sans cesse comme si les critères ne tenaient plus, ne retenaient plus.
Au hasard, l’on peut revenir sur quelques-unes des interrogations qui ont été soulevées, bien entendu celle de la motivation de l’écriture, de sa survenue, de sa versatilité, comment être écrivain c’est aussi se taire, faire silence, douter de la pertinence de mettre en mots ce qui devrait plutôt être mis en acte. La responsabilité face à son temps conduit parfois à des évitements, d’où le refuge dans le récit avec ce qu’il comporte de capacité d’évasion et de suspense, et pourtant les histoires vous viennent, suggérées par l’expérience, l’environnement, le travail, et elles finissent par s’imposer faisant douter de la liberté du conteur.
Il revient à cette journée d’avoir eu le mérite de mettre en présence les auteurs et leurs traducteurs, ces femmes et ces hommes oubliés et dont la force de transmission est cependant essentielle. Des noms à peine mentionnés sur les couvertures, des noms ignorés des références bibliographiques, soudain redevenus vivants et passeurs, lecteurs et interprètes. De même quelques maisons d’édition ont été incarnées, poursuivant ainsi le livre dans les étapes de son élaboration et faisant comprendre pourquoi il est enfin là.
Ainsi La Nuit à l’Institut suédois a-t-elle multiplié les voix, entrecroisé les gens du monde, esquissé mille passages là où trop souvent ça ferme, ça casse, ça brise, ainsi nous a-t-elle permis de nous relier de page en page.
Sylvie Camet
Przemysław Truściński POLOGNE, Afonso Cruz PORTUGAL, Andrea Marcolongo GRÈCE, Ling YU TAÏWAN, Kateřina Tučková TCHÉQUIE, Jonas Karlsson SUÈDE, Erdogan Boz TURQUIE, Sylvain Audet-Găinar ROUMANIE, Milena Jeliazkova BULGARIE, Billy O'Callaghan Irlande, Pascale Fonteneau BELGIQUE FRANCOPHONE, Jean Portante LUXEMBOURG, Xaver Bayer AUTRICHE, Eszter T.Molnár HONGRIE, Valdas Papievis LITUANIE, Marek Vadas SLOVAQUIE, Natasha Kanapé Fontaine CANADA, Osvalde Lewat CAMEROUN
Sylvie Camet est Professeure de Littérature comparée à l’Université de Lorraine, ses publications portent sur des questions d’identité, qu’il s’agisse de comprendre le mot dans le sens de l’ethnie, du genre ou de l'individu. Elle poursuit par ailleurs un travail d’écriture personnelle, avec, comme dernières publications, La submersion qui vient (Vagamundo 2019) et Le nez dans le ruisseau (Kalima 2022), deux fictions interrogeant l'état du monde.